Reprise du Credit Suisse - Contexte et perspectives

La stabilité et la prospérité de la place financière suisse sont essentielles pour l’ensemble de l’économie suisse. La reprise de Credit Suisse par UBS et les mesures prises par les autorités suisses ont été un événement marquant pour la place financière suisse. Du point de vue de l’Association suisse des banquiers (ASB), elles étaient conformes aux objectifs et efficaces pour garantir la stabilité de la place financière suisse et renforcer la confiance. La Suisse a ainsi pris la responsabilité d’empêcher par ses propres moyens la propagation d’une crise financière internationale et de rétablir la stabilité. Sur la base des informations disponibles ainsi que de nombreux entretiens avec des expert.e.s, l’Association suisse des banquiers (ASB) prend position sur la solution trouvée ainsi que sur les dossiers et questions politiques actuels.

Position de l’Association suisse des banquiers

  • Les réglementations nationales mises en œuvre au cours de la dernière décennie sont globalement efficaces. Preuve en est que seule une banque – mais une grande banque, Credit Suisse – s’est trouvée en difficulté. Et preuve en est aussi qu’UBS, grâce à la réglementation en vigueur et à diverses mesures d’accompagnement prises par les autorités, s’est révélée suffisamment robuste pour assumer la reprise de Credit Suisse. UBS et les autres banques en Suisse – plus de 230 – sont dans l’ensemble stables, solides, et elles accomplissent jour après jour un travail de qualité pour leur clientèle; elles inspirent confiance, versent des milliards d’impôts, forment des milliers de jeunes, innovent et contribuent à orienter les flux financiers vers des activités durables.
  • Le secteur financier suisse est un pilier porteur de l’économie nationale et de la prospérité de la population. Il doit le rester et, pour qu’il le reste, la place financière a besoin d’un cadre réglementaire compétitif à l’échelon international.
  • Accroître les exigences globalement, sans lien avec les problèmes qui se posent, est inefficace, freine l’économie et pèse sur la prospérité. Au vu des faits qui ont été établis à ce jour, il n’y a pas lieu d’accroître globalement les exigences de fonds propres. En revanche, il y a lieu de procéder à une analyse ciblée des facteurs qui, chez Credit Suisse, ont conduit à ce que de nombreux éléments, dont certains procycliques, restreignent les ressources financières de la banque.
  • Les interactions entre Credit Suisse, la BNS et la FINMA sont à analyser
  • Il faut veiller dans tous les cas à ce que les mesures envisagées ciblent des problèmes identifiés, soient mises en œuvre de manière proportionnée, respectent le principe «same risk, same rules» et soient coordonnées à l’échelon international.
  • Aussi est-il indispensable de comprendre les causes de la chute de Credit Suisse, afin d’élaborer des solutions ciblées aux problèmes qui ont manifestement conduit à cette chute. Cela nécessite d’adopter une perspective pluriannuelle, car la réputation de la banque, la confiance quant à la capacité de son Conseil d’administration et de sa direction de l’amener sur une trajectoire durablement rentable, n’ont pas disparu du jour au lendemain ; elles se sont étiolées au fil des années. Sur la base des informations dont elle dispose, l’ASB aboutit à la conclusion que la chute de Credit Suisse trouve principalement son origine dans une longue séquence de mauvaises décisions au sein de la banque, lesquelles ont eu pour conséquences la mise en place d’un modèle d’affaires non durable, une optimisation financière interne excessive, une certaine opacité, une faible culture du risque, sans oublier un manque de continuité au niveau des organes dirigeants.
  • Le rôle de la FINMA et de la BNS ainsi que leur gestion de ces évolutions à long terme sont à analyser. La réglementation en vigueur, les méthodes comptables appliquées, le comportement de la direction de la banque dans ses relations avec les autorités de surveillance, les interactions entre la BNS et la FINMA ainsi que l’arsenal et les interventions de ces dernières doivent être examinés dans leur globalité à la lumière de cette crise. Mais par ailleurs, l’ASB considère que les événements d’octobre 2022 recèlent des éléments clés pour comprendre les interactions entre Credit Suisse et les autorités. La phase aiguë de la crise de Credit Suisse a montré notamment que l’arsenal actuel de la BNS était insuffisant, qu’il s’agisse des outils, de la mise à disposition de sûretés et de l’adhésion à cet égard, voire de la communication. 

Analyse des événements

Que s'est-il passé ?

La place financière suisse a vécu une césure au printemps 2023. D’une part, en 2022, le contexte macroéconomique parfois tendu n’avait pas entravé la marche des affaires, qui affichait une solidité quasi-généralisée dans le secteur bancaire. Le résultat consolidé de toutes les banques en Suisse, malgré le recul enregistré chez Credit Suisse, s’était établi à CHF 70,2 milliards, soit un niveau à peine inférieur à celui de 2021 – qui marquait lui-même un record depuis la crise financière. Les effectifs au sein du secteur bancaire avaient d’ailleurs progressé de 1,6 % sur l’année 2022. Ce bon niveau d’activité permet aux banques en Suisse d’accumuler du capital et d’être aux côtés de leur clientèle lorsque celle-ci souhaite développer ses affaires et exploiter les opportunités liées à la transition numérique et à la finance durable. La branche a donc démarré l’année 2023 sur des bases très solides et cette évolution favorable s’est poursuivie depuis lors, avec des résultats semestriels généralement positifs. Mais d’autre part et en parallèle, la deuxième banque du pays par la taille a traversé une crise si profonde que le week-end du 19 mars 2023, les autorités et UBS ont dû intervenir conjointement pour la sauver. Si cette action résolue a préservé la stabilité financière et assuré la continuité de la fourniture de services financiers à l’économie et à la population, la chute de Credit Suisse pose des questions de fond.

Certes, les milieux politiques, les autorités et UBS/CS elle-même n’ont pas encore fini de recenser en détail ni d’analyser les causes de la crise. Mais d’ores et déjà, il apparaît clairement que des décisions prises au sein de Credit Suisse ont mené la banque, année après année, à une situation de forte vulnérabilité qu’elle ne devait qu’à elle-même. Après les affaires Archegos et Greensill en particulier, les pertes financières et la perte de confiance dans le modèle d’affaires, puis dans la stabilité de la banque toute entière, se sont aggravées à un point tel qu’elles ont débouché sur des recapitalisations, sur une réduction de la marge de manœuvre et finalement sur une panique bancaire, avec deux fortes vagues en octobre 2022 et en mars 2023. La vulnérabilité de Credit Suisse conjuguée à des facteurs externes concomitants a déclenché une dynamique au bout de laquelle le management de la banque n’était plus en mesure d’assurer par lui-même la survie de la banque. Le marché financier s’est aperçu dès 2021 que l’horizon s’assombrissait dangereusement pour Credit Suisse, mais des indices manifestes laissent à penser que l’origine du naufrage se situe des années auparavant. Ces évolutions au long cours sont intervenues dans le cadre réglementaire et comptable actuel, sous la surveillance constante du Conseil d’administration de Credit Suisse, des sociétés d’audit, de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et de la Banque nationale suisse (BNS).

Quel est le rôle de la confiance et du "prêteur en dernier ressort" ?

Les banques accomplissent une mission importante pour l’économie: la création monétaire. Ce système des réserves minimales (Fractional Reserve Banking), répandu dans le monde entier et mis en œuvre avec succès, est extrêmement efficient du point de vue de l’économie globale. Toutefois, en raison précisément de la fonction de transformation des bilans des banques qui lui est liée et qui favorise cette efficience, il comporte aussi des risques: le retrait soudain d’une partie importante des dépôts peut entraîner une grave crise. La création monétaire, si elle est globalement très utile pour l’économie dans son ensemble, est donc par nature une mission à risques pour toutes les parties prenantes. Afin de couvrir ces risques, les banques doivent détenir suffisamment de liquidités et de fonds propres, sans compter qu’il appartient à la direction de chaque banque de veiller à la durabilité de son modèle d’affaires ainsi qu’à la robustesse de sa gestion des risques. Même si toutes les exigences sont satisfaites et si le management est pérenne, on peut se trouver dans des situations où les sorties de liquidités sont si massives que la banque centrale n’a pas d’autre choix que d’assumer son rôle de prêteuse de dernier recours (lender of last resort) et d’intervenir. Ce rôle de la BNS fait clairement partie intégrante du système des réserves minimales. Mais lorsqu’une telle crise propre à une banque menace de se transformer en une crise systémique aux conséquences potentiellement graves, il est fondamental que sur le front financier comme sur celui de la communication, la BNS dispose d’un arsenal immédiatement mobilisable, diversifié et flexible, afin de prévenir les risques systémiques ou de les atténuer sans délai.

Quoi qu’il en soit, dans le cadre du système des réserves minimales, la confiance est essentielle; toute perte de confiance peut avoir des conséquences fatales. Ce constat n’a rien de nouveau, c’est d’ailleurs pourquoi les autorités de surveillance sont chargées d’évaluer en permanence la confiance des investisseurs, des créanciers et de la clientèle des banques, au même titre qu’elles surveillent les indicateurs de fonds propres et de liquidités ainsi que d’autres aspects. Mais la confiance n’étant pas quantifiable avec exactitude, les autorités de surveillance, en particulier la FINMA, disposent d’une marge de manœuvre considérable et peuvent donc intervenir de manière proactive en cas de perte de confiance. S’agissant de Credit Suisse, les signaux d’une dangereuse perte de confiance n’étaient pas récents. Comment la FINMA et la direction de la banque ont-elles géré cette situation? C’est une question qui mérite une réponse.

Comment évaluer le bank run au Credit Suisse ?

Le risque de panique bancaire est connu depuis longtemps, de même que la dynamique en spirale de ce phénomène qui s’auto-alimente. Ce qui est nouveau en revanche, et particulièrement visible, dans le cas de Credit Suisse, c’est la vitesse des réactions en chaîne, due à la numérisation et à la diffusion rapide d’informations dans les médias sociaux – sans oublier les médias traditionnels. Aujourd’hui, une panique bancaire peut se propager à tout moment via les canaux numériques et prendre aussitôt des proportions inquiétantes. Cela change la donne. Mais dans le même temps, le risque de panique bancaire est faible pour une banque bien gérée, dotée d’un modèle d’affaires durable; en d’autres termes, si une panique bancaire peut se déclencher dans n’importe quelle banque, de manière aussi soudaine que violente, c’est rarement sans signes avant-coureurs. Là encore, la confiance dans la banque et dans sa gestion joue un rôle clé. La survenance d’une panique bancaire et sa brutalité doivent donc être considérées non comme la cause, mais comme la conséquence d’une crise de confiance qui a atteint un point critique.

Quel rôle jouent les événements aux États-Unis ?

La hausse rapide des taux d’intérêt dans le sillage d’une inflation en forte accélération aux Etats-Unis et en Europe a conduit globalement à une amélioration du résultat dans les banques axées sur les opérations d’intérêts, renforçant ainsi la capacité de résistance du système dans son ensemble. Mais en parallèle, elle a mené à la faillite de banques dont la gestion des risques de taux était défaillante, en premier lieu la Silicon Valley Bank et d’autres banques américaines de taille moyenne. Les informations concernant les problèmes aigus que rencontraient ces établissements, de surcroît dans un contexte de nervosité, ont fait gonfler le risque systémique d’une crise financière mondiale, en particulier à l’approche du week-end du 11 mars 2023. Pour des banques comme Credit Suisse, dont le modèle d’affaires subissait déjà une grave perte de confiance, l’environnement économique est ainsi devenu très vite beaucoup plus difficile à gérer. Sans compter que le dimanche 12 mars, les autorités américaines ont fait savoir que tous les dépôts bancaires des banques américaines en difficulté, et au-delà, étaient garantis. Si cela a temporairement apaisé la situation dans le secteur bancaire américain, la pression sur Credit Suisse et sur d’autres banques n’a fait que s’accroître.

La concurrence est-elle désormais menacée sur le marché financier ?

La FINMA et la Commission de la concurrence (COMCO) clarifient les éventuelles conséquences en matière de droit de la concurrence. L’ASB s’engage en faveur d’une concurrence efficace et de marchés ouverts. Aujourd’hui, la Suisse, qui compte environ 230 banques et dont les marchés sont généralement très ouverts pour la plupart des groupes de clientèle, connaît une concurrence intense pour un grand nombre de prestations de services proposées par les banques. Si, pour certaines activités, par exemple dans les opérations interbancaires et avec la clientèle commerciale, des constellations se présentent où se posent des questions sur l’accès suffisant à des prestations de services spécifiques, il appartient à la FINMA de procéder aux clarifications nécessaires en collaboration avec la COMCO.

La Suisse a-t-elle besoin de grandes banques à vocation mondiale ?

La Suisse abrite de nombreuses entreprises à vocation internationale, dont les produits et les prestations de services connaissent un succès mondial, qui agissent à l’échelle mondiale et qui souhaitent réaliser leurs opérations via la place financière suisse. Pour accompagner au mieux les besoins commerciaux et financiers de l’économie suisse, il faut des banques à vocation internationale offrant une large palette de prestations de services. De telles banques génèrent ainsi un bénéfice économique élevé.

Sans grande banque suisse, l’accès aux marchés internationaux des capitaux dépendrait entièrement de l’étranger pour les entreprises suisses orientées vers l’international et pour les banques elles-mêmes. Il en va de même pour la disponibilité d’une main-d’œuvre locale hautement qualifiée disposant du savoir-faire correspondant pour l’ensemble du secteur financier. Dans les branches les plus diverses (p. ex. énergie, pharmacie), des efforts considérables ont été déployés en raison des crises de ces dernières années pour rapatrier des capacités de production en Suisse dans l’optique de la sécurité d’approvisionnement. La raison pour laquelle la dépendance vis-à-vis de l’étranger devrait être accrue par des interventions réglementaires dans le secteur bancaire n’est pas claire. Si la Suisse veut jouer un rôle en tant que place financière internationale, il lui faut au moins une grande banque internationale.

La question se pose donc de savoir dans quelle mesure la politique et l’économie sont prêtes à laisser les offres nationales être supplantées par les offres étrangères, augmentant ainsi les dépendances et mettant dans la balance le rayonnement mondial de la place financière et donc de l’économie dans son ensemble. La banque combinée est environ quarante pour cent plus petite qu’UBS seule avant la crise financière, alors que la performance économique de la Suisse a augmenté d’un quart pendant la même période.

Qu'est-ce que cela signifie pour la réglementation ?

Faut-il, de manière générale, des réglementations plus strictes pour la place financière ?

L’ASB s’engage pour une analyse des événements sans préjugés de résultats, ainsi que des mesures étatiques. Cette analyse devrait notamment permettre d’examiner si la réglementation existante n’était pas appropriée pour empêcher les événements ou si elle n’a pas été appliquée en temps voulu et/ou de manière ciblée. Elle montrera si, et dans quels domaines, une réglementation plus stricte est éventuellement nécessaire.

Cette analyse doit se faire en gardant à l’esprit que les nombreux et divers acteurs de la place bancaire suisse ont globalement réussi à opérer une transformation réglementaire fondamentale au cours des dernières années et à tirer les bonnes leçons de la crise financière. Ainsi, toutes les banques disposent aujourd’hui de réserves de liquidités et de capitaux considérablement plus élevés. La place bancaire suisse est donc également bien placée en comparaison internationale. Il convient de souligner que les réglementations mises en place et les mesures prises au cours de la dernière décennie sont en principe efficaces. La preuve en est qu’une seule banque, le Credit Suisse, bien qu’importante, a rencontré des difficultés. En revanche, les quelque 230 autres banques de Suisse sont globalement stables, solides et font chaque jour du bon travail dans l’intérêt de leur clientèle.

Faut-il des exigences plus élevées en matière de fonds propres ?

Les exigences de fonds propres qui s’imposent aux banques d’importance systémique en Suisse sont conformes aux normes internationales, elles sont strictes par rapport à celles d’autres places financières comparables et elles le seront encore davantage dans le cadre de Bâle III. Il convient de relever en particulier que les prescriptions extrêmement rigoureuses applicables aux établissements d’importance systémique, notamment en ce qui concerne le ratio d’endettement (leverage ratio), sont nettement plus sévères que celles de pays étrangers comparables.

Même le Conseil fédéral, dans son dernier rapport d’évaluation, a jugé appropriées les exigences suisses quant à la dotation en fonds propres des banques d’importance systémique. Des comparaisons internationales révèlent notamment que par rapport à leurs équivalents dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, les grandes banques suisses sont soumises à des exigences globalement élevées en ce qui concerne la capacité totale d’absorption des pertes (Total Loss Absorbing Capacity) et en particulier le ratio d’endettement.

Un volant confortable de fonds propres renforce la capacité d’absorption des pertes, atténue en pareil cas le risque de panique bancaire et rend la situation plus propice à d’éventuelles autres mesures, comme une liquidation ou un redressement. Dans ce contexte, il est intéressant de noter que c’est précisément grâce à la solide capitalisation d’UBS, complétée par des mesures de la BNS et de la Confédération, que l’on a réussi à éviter une crise d’envergure nationale en Suisse ainsi que sa propagation à l’échelon international. En outre, UBS était soumise aux mêmes règles que Credit Suisse et à l’évidence, le marché juge UBS suffisamment solide pour faire face à la reprise de Credit Suisse, y compris après cette opération. Cela en dit long sur le caractère approprié des exigences réglementaires en vigueur et sur le maniement responsable dont elles font l’objet. Les aides de l’Etat en liquidités et les garanties contre les pertes sont des mesures d’accompagnement importantes pour stabiliser la situation en phase de transition. Une bonne dotation en fonds propres est donc essentielle, elle procure un amortisseur et du temps pour surmonter les crises: c’est ce que montre l’exemple d’UBS. Mais elle n’offre jamais une protection intégrale contre les crises, surtout en l’absence d’un modèle d’affaires durable et d’une gestion robuste des risques: c’est ce que montre l’exemple de Credit Suisse.

Quelles seraient les conséquences d'un renforcement des exigences en matière de fonds propres ?

Au regard de l’économie globale, il faut être conscient que si l’on relevait les exigences de fonds propres de manière substantielle, cela aurait des effets sensibles dans l’économie réelle. Il pourrait en résulter une contraction involontaire du crédit suite à une baisse des volumes et à une hausse des coûts. Selon une estimation conjointe de l’ASB et de ses membres, porter à 15 % le ratio d’endettement exigé entraînerait par exemple, toutes choses égales par ailleurs, une hausse des coûts du crédit pouvant atteindre un point de pourcentage. En d’autres termes, compte tenu du niveau actuel des taux d’intérêt, les coûts du crédit pourraient augmenter de 50 %. En fonction de la situation du marché, ces coûts auraient des répercussions certes plus ou moins fortes, mais toujours négatives sur l’économie globale; les hypothèques seraient concernées également. Relever une nouvelle fois significativement les exigences de fonds propres n’est donc guère susceptible d’être bénéfique pour l’économie, surtout qu’une telle mesure ne s’attaque pas aux causes de la crise dont nous parlons; elle rate sa cible et réduit le rôle important des banques dans l’économie, avec des conséquences sur l’octroi de crédit et donc sur la prospérité de toutes et de tous. De plus, on ne saurait exclure que les activités migrent partiellement vers des secteurs non réglementés, ce qui pourrait accroître encore les risques systémiques.

Faut-il faire évoluer la réglementation TBTF ("Too big to fail") ?

Le dispositif too big to fail (TBTF) a passé avec succès, sur quelques aspects majeurs, le test de réalité. Le qualifier globalement de non fonctionnel serait donc erroné. Des éléments essentiels de la boîte à outils TBTF (exigences de liquidités, instruments de capitaux propres absorbant les pertes, exigences structurelles, travaux préparatoires opérationnels) ont contribué à ce que le risque systémique causé par Credit Suisse puisse être atténué avec succès sans que les autorités optent pour une liquidation de la banque; de plus, dans le cadre du régime existant, la Confédération dispose d’une certaine marge de manœuvre, qui lui permet de privilégier une alternative économiquement plus pertinente que par exemple une liquidation – et c’est ce qu’elle a fait. Une cession est dès lors une option valable. La reprise de Credit Suisse par UBS a d’ailleurs été considérée par toutes les parties prenantes, compte tenu des circonstances, comme la solution la plus efficace pour éviter l’effondrement de la banque et la propagation du séisme au-delà des frontières. Une liquidation aurait certes été imaginable, c’est une option TBTF, mais elle n’a pas été privilégiée notamment parce que la reprise par UBS, accompagnée de mesures prises par les autorités, constituait une alternative nettement préférable pour l’économie.

Faut-il prendre des mesures concernant les rémunérations variables ?

Un système de rémunération efficace récompense la performance des collaboratrices et des collaborateurs et incite à une productivité et une efficience pérennes ainsi qu’à la fourniture de services optimaux à la clientèle, dans l’intérêt de tous les groupes concernés. Il incite en outre à une gestion responsable des risques et prévient les prises de risque excessives. Les rémunérations variables font partie intégrante d’un tel système; elles se pratiquent dans tous les secteurs économiques. Mais lorsqu’une entreprise génère des pertes, les rémunérations variables «doivent être réduites à un minimum», pour reprendre la formulation de la FINMA dans sa circulaire 2010/1 «Systèmes de rémunération» – où sont énoncés aussi de nombreux autres principes essentiels en relation avec le système de rémunération dans son ensemble, les responsabilités, etc. Cette circulaire de la FINMA contient donc d’ores et déjà toute une série de principes pertinents et appropriés. Dès lors, l’ASB attend de ses membres qu’ils en tiennent compte, notamment en ce qui concerne les exigences quant à la coresponsabilité des pertes et à la durabilité de l’entreprise. Dans le même ordre d’idées, elle exige également de ses membres qu’ils respectent les principes formulés dans le Code suisse de bonnes pratiques pour la gouvernance d’entreprise.

L’évolution négative du cours des actions Credit Suisse a coûté aux collaboratrices et collaborateurs de la banque, au total, plus de CHF 2 milliards de rémunérations variables différées, soit une réduction de quasiment 80 % de cette composante de leur rémunération. En outre, dans le sillage de la reprise de Credit Suisse, le Conseil fédéral a décidé d’annuler les rémunérations variables différées – intégralement pour les hauts dirigeants (direction du groupe), partiellement pour les deux échelons hiérarchiques suivants. Cette mesure concerne un bon millier de collaboratrices et collaborateurs de Credit Suisse à travers le monde. Pour autant, et malgré des délais de blocage déjà conséquents en vertu de la circulaire de la FINMA, certains membres de l’encadrement qui avaient quitté Credit Suisse avant sa reprise ne sont plus ou pas touchés financièrement dans les mêmes proportions. Le mode de fonctionnement du système de rémunération peut donc épargner celles et ceux qui portent la responsabilité initiale des problèmes, en particulier en cas de forte fluctuation du personnel. Aussi le Conseil fédéral a-t-il obligé Credit Suisse à examiner les possibilités de demander le remboursement des rémunérations variables déjà versées aux membres de la direction du groupe et d’en rendre compte aux autorités compétentes. Il faudra tirer de ce rapport les conclusions qui s’imposent.

Quoi qu’il en soit, pour qu’un système de rémunération soit efficace, il est essentiel que la rémunération reflète, y compris au niveau granulaire, le ratio prise de risque / rendement en tenant compte des coûts. Dans quelle mesure y a-t-il lieu d’intervenir à cet égard? Cela reste à clarifier – sachant qu’il ne faudra pas se contenter d’examiner seulement le système de rémunération, mais analyser aussi en détail comment sont déterminés les chiffres qui entrent dans le processus de rémunération.

Pourquoi l'ASB est-elle favorable à un modèle de banque universelle ?

L’idée d’instituer un système bancaire différencié avait déjà été analysée après la crise financière de 2007/2008, mais sans être retenue. Il avait été impossible de démontrer que la séparation des activités bancaires renforcerait la stabilité du système financier. Ainsi, par exemple, Lehman Brothers était purement une banque d’investissement, tandis que la Silicon Valley Bank était purement une banque commerciale (sans activités de banque d’investissement). Et lors de la crise bancaire des années 1990, c’est la banque d’investissement qui a stabilisé les banques universelles suisses, tandis que les activités de détail connaissaient des difficultés. On ne peut donc absolument pas dire qu’une différenciation organisationnelle des activités bancaires rend globalement le système financier plus sûr ni qu’elle le protège contre d’éventuelles crises au sein des banques. Au contraire: le modèle de la banque universelle, par sa diversification, présente des avantages en termes de stabilité, avantages qui seraient sacrifiés sans bénéfice tangible en cas de séparation des activités.

De plus, le profil de risque d’une banque ne se définit pas seulement par les domaines d’activité dans lesquels celle-ci opère, mais par les activités spécifiques qu’elle y exerce ainsi que par les engagements qu’elle prend dans ce cadre. L’objet d’une réglementation pertinente doit donc être le profil de risque et non le domaine d’activité; c’est déjà le cas actuellement. Dans une perspective systémique, il est essentiel en outre que l’activité soit systématiquement axée sur les besoins de la clientèle et que les risques soient limités, transparents et sous contrôle.

A cet égard et en particulier pour la clientèle, le modèle de la banque universelle présente divers avantages. Ainsi, la diversification des activités sur les marchés des capitaux est dans l’intérêt de la place économique toute entière. Dans le cadre d’une banque universelle intégrée, les entreprises bénéficient d’une large gamme de prestations. Inversement, lorsque les opérations d’Investment Banking ne peuvent pas s’effectuer à partir de la Suisse, ni au sein d’une banque ni en dehors, la clientèle en subit les inconvénients, qui sont considérables. L’accès des entreprises aux marchés internationaux des capitaux dépend alors entièrement de l’étranger. Aussi le maintien d’une banque universelle suisse d’envergure mondiale contribue-t-il notablement au rayonnement international et à la compétitivité de l’économie suisse dans son ensemble, tout en fournissant des prestations importantes à d’autres banques. Pour l’économie globale comme pour la stabilité du système, il est très important que le marché financier soit large et diversifié, avec différentes catégories d’acteurs de différentes tailles ayant vocation à être des banques universelles. Mais il faut aussi que l’Investment Banking soit adapté à l’activité clé de la banque concernée et aux besoins de sa clientèle.

L’ASB soutient-elle l’introduction d’un «Public Liquidity Backstop» ?

L’ASB soutient l’introduction d’un «Public Liquidity Backstop» en tant que contribution à la poursuite du renforcement de la stabilité systémique de la place financière suisse. Cette nouvelle «troisième ligne de défense» doit compléter les instruments déjà existants que sont les liquidités propres aux banques et l’aide en liquidités de la BNS (Emergency Liquidity Assistance, ELA). Des instruments similaires sont déjà établis sur les places financières comparables et font partie de la panoplie standard des instruments de crise au niveau international.

Le rôle des autorités

L'interaction entre la BNS et la FINMA a-t-elle fonctionné ?

Comme indiqué plus haut, le marché financier avait identifié les problèmes de Credit Suisse il y a des années et les difficultés de la banque en termes de gouvernance et de modèle d’affaires ne dataient pas d’hier. Pour se faire une idée suffisamment précise de la manière dont les autorités compétentes ont analysé la situation de Credit Suisse, coopéré et agi, il convient donc d’examiner une période longue. Dès le mois d’octobre 2022, Credit Suisse était dans une situation manifestement critique. Pourtant, sa reprise par UBS a dû se décider dans un délai extrêmement court. Les autorités ont-elles fait le nécessaire en temps utile pour préparer et assurer la gestion de cette crise en établissant les faits, puis en évaluant diverses possibilités d’intervention? La question reste ouverte.

Lorsqu’une banque d’importance systémique est en difficulté dans un contexte de nervosité des marchés financiers mondiaux, le risque systémique s’accroît – et avec lui la responsabilité de la BNS. Cette dernière a en charge la stabilité financière et elle est seule à disposer des fonds nécessaires pour atténuer efficacement les risques systémiques en cas de crise. Vu de l’extérieur, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure cette responsabilité, qui s’inscrit dans une dynamique interactive avec la FINMA, présente un potentiel d’optimisation, notamment quant à savoir quels sont les droits et les outils d’intervention, quelle autorité de surveillance en dispose et peut ou doit en faire usage, et à quel moment. La question du potentiel d’optimisation concerne d’ailleurs aussi la communication à destination du public. Il reste à déterminer en outre quelles mesures d’activation des instruments TBTF ont été envisagées ou rejetées par la FINMA, quand et pourquoi.

La FINMA a-t-elle suffisamment de pouvoir d'exécution ?

Les déclarations de la FINMA tendant à dire qu’elle n’avait réussi à obtenir aucun réel changement de conduite de la part de Credit Suisse, et ce en dépit de multiples procédures d’enforcement à son encontre, amène à s’interroger sur la capacité de cette autorité d’appliquer le droit de la surveillance au moyen des outils dont elle dispose. Rien ne permet de dire que l’arsenal de la FINMA mériterait globalement d’être renforcé en ce qui concerne le secteur bancaire. S’agissant de banques d’importance non systémique, la FINMA semble bel et bien mettre en œuvre la totalité des instruments à sa disposition. Mais dans le cas de Credit Suisse, apparemment, l’application du droit de la surveillance ou son applicabilité s’est heurtée à des limites.

La FINMA a-t-elle besoin d’instruments et de compétences supplémentaires ?

Une surveillance crédible et efficace des marchés financiers est un facteur important pour une place financière prospère et intègre. L’analyse des événements devra montrer dans quelle mesure la réglementation existante n’a pas permis d’empêcher les événements ou si elle n’a pas été utilisée au bon moment et/ou de manière ciblée. Elle montrera si et où des instruments et des compétences nouveaux ou étendus de la FINMA sont indiqués. La FINMA dispose d’ores et déjà d’une large palette d’instruments possibles. Ainsi, la FINMA peut sanctionner les infractions à l’exigence de «garantie d’une activité irréprochable» et prononcer des interdictions d’exercer (art. 33 LFINMA) ou des interdictions de pratiquer (art. 33a LFINMA). Avec le retrait de la garantie d’une activité irréprochable, la possibilité d’intervention de la FINMA va aujourd’hui déjà très loin et elle en a fait un usage accru ces dernières années. Cependant, elle n’a jusqu’à présent pas la compétence de prononcer des amendes (comme le font parfois d’autres autorités de surveillance étrangères). Les compétences existantes de la FINMA (Circ.-FINMA 2017/1 Gouvernement d’entreprise; Circ.-FINMA 2013/8 Règles de conduite sur le marché et Circ.-FINMA 2010/1 Systèmes de rémunération) devraient être soumises à une analyse, notamment en ce qui concerne leur mise en œuvre et leur application. Le Conseil fédéral a donc recommandé l’adoption du postulat 21.3893 «Responsabiliser davantage les cadres supérieurs des marchés financiers avec des outils allégés» et défend la position selon laquelle les instruments existants devraient être soumis à une analyse d’efficacité dans le cadre d’un rapport présentant un état des lieux conformément au postulat.

Faut-il inclure des indicateurs de marché dans le travail de supervision ?

Lorsque la valeur de marché d’une banque est systématiquement et nettement inférieure à sa valeur comptable, c’est le symptôme d’un manque de confiance des investisseuses et des investisseurs dans le modèle d’affaires de cette banque ainsi que d’une potentielle fragilité de l’entreprise. En pareille situation, il y lieu d’intervenir sans tarder, avant que le risque systémique s’accroisse démesurément. Les autorités compétentes doivent donc être en mesure d’identifier une telle évolution en temps opportun et d’en tenir compte dans leur travail. Si elle perdure trop, la probabilité d’une solution fondée sur les mécanismes de marché se réduit, tandis que le risque systémique s’accroît. L’évolution du cours des actions Credit Suisse, puis des primes d’assurance contre les pertes de crédit, indiquait depuis longtemps dans quelle situation se trouvait la banque. Il paraît donc évident que la marche des affaires, la complexité interne, la réputation, les risques juridiques et la capacité de la direction de la banque de mettre en œuvre des mesures correctives devraient jouer un rôle bien plus important dans l’évaluation des autorités de surveillance. Fondamentalement, il faut savoir que seul un ensemble d’indicateurs et d’informations est à même de donner une image suffisamment précise de la situation d’une banque; un indicateur isolé fournit certes de précieuses indications mais, par sa simplicité, il risque de faire passer à la trappe des aspects potentiellement importants. Le ratio d’endettement, par exemple, est assez séduisant parce qu’il est simple, mais cette simplicité, précisément, peut conduire à des évaluations très disparates pour des risques similaires ou à des effets de distorsion en raison des positions sans risque; la valeur informative du ratio d’endettement en lui-même est donc limitée. Dès lors, toute évaluation devrait prendre en compte également le ratio Tier 1 pondéré des risques. Par ailleurs, les données et les informations des marchés financiers peuvent également fournir des indications sur la solidité du modèle d’affaires ou de la gestion des risques que pratique une banque, de sorte qu’elles constituent des compléments quantitatifs et qualitatifs importants aux indicateurs réglementaires et aux activités de surveillance en général.

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